Openbar

Écrire sur des idées

Écrire sur des idées, c'est se référer à une abstraction.

Problèmes :

Lorsque je lisais de la philosophie, j'avais souvent l'impression d'en retirer, à la fin, une impression sensible plutôt que des idées, que je concevais comme un ressenti de l'auteur qu'à travers toutes ses abstractions il espérait exprimer et qui en cas de succès se transmettait ainsi. Le genre de ressenti qui modifie votre vision du monde et du possible. C'était sans doute en partie du fait de ma lecture (j'ai lu de la philosophie sans contexte, très jeune, en prenant du texte ce que j'y pouvais) déjà littéraire, mais aussi en partie la philosophie est-elle une forme d'expression littéraire, dans certains cas du moins. La capacité d'abstraction fait partie de ce qui distingue l'être humain et lui a donné ses meilleurs outils. C'est toujours une forme de réduction, de violence faite au réel, de simplification permettant le calcul et l'organisation. Peut-être d'ailleurs les philosophes, ceux qui non contents de l'abstraction pragmatique de l'époque s'efforcent d'affiner la leur en une quête désespérée pour renouer contact avec le réel, sont-ils les plus sensibles à ce manque inhérent à l'idée (et donc, encore une fois, des littéraires dans l'âme).

Le langage est la première abstraction. Appeller une pomme une pomme, c'est nier ce qui la distingue de toutes les autres pommes et qu'on aurait autrement pu remarquer davantage. L'écrit est un deuxième niveau d'abstraction, appliqué au langage : plus besoin d'être incarné, de provenir d'une mémoire à travers une voix, les mots sont notés sous une forme qui semble la même pour tous, mais en réalité n'offre à chacun que ce qu'il sait y lire. Les sages des cultures orales se méfiaient à raison de l'écrit : plus moyen de connaître son interlocuteur, plus moyen de s'assurer que la connaissance soit intégrée à une expérience du monde globale et harmonieuse, plutôt que partielle et destructrice (potentiellement).

L'abstraction, c'est l'appréhension d'idées en parallèle (ou au-dessus) des objets. Le type d'idée dépend de la forme de l'abstraction : peut-être la grammaire est-elle l'étude la plus susceptible d'éclairer la structure de l'esprit humain, avant la neurologie ? En détachant le langage de son lieu de prononciation, l'écrit détache aussi les idées de leur support réel, leur donne une liberté mais aussi une inutilité (potentielle) nouvelles. La correspondance entre le langage et le réel devient l'enjeu d'un acte de foi. Ou elle est abandonnée au profit d'un palimpseste de langage ne représentant plus que des luttes entre points de vue, tandis que le réel se touche (tout seul)(reste sur la touche), bref le réel n'est plus objet de pensée (ou alors pour le faire entrer dans des modèles abstraits d'exploitation ou de divertissement, voire même de connaissance scientifique, mais manquant de toucher – au sens pianistique).

Pour conclure sur la philosophie, je dirais que contrairement à la classification scolaire, elle n'est pas l'amie de la littérature mais bien son opposé (un instrument de mécanisation de l'âme), sauf quand elle est grandiose et se fait expressive, alors elle devient un genre littéraire.